-Il pleut, il pleut bergère, presse tes blancs moutons
Yann entendait souvent cette chanson par temps de pluie. Avec deux petits frères
en primaire et une sur encore en maternelle, c'était inévitable.
Ca et la fête à la grenouille.
Aussi n'y fait-il pas vraiment attention. Après tout, il pleut. Fort.
Et il doit se dépêcher pour avoir son bus et rentrer à la
maison. S'il le rate, il est bon pour rentrer à pied, à travers
la forêt, trempé comme une soupe. Il ne fait pas attention quand
il arrive sous l'abri bus et secoue son kway et sa sacoche, vérifiant
que ses précieux cours n'ont pas été abîmés
par l'orage.
C'est là qu'il entend de nouveau la chanson. Toute proche.
Une voix de femme et derrière, comme un grondement sourd qui le fait
tourner la tête.
Il ne l'avait pas vue, trop occupé à vérifier l'état
de ses affaires, et puis c'est malpoli de dévisager les gens, sa mère
lui dit toujours de ne pas fixer les gens dans les yeux.
Mais il ne peut pas s'en empêcher en la voyant.
Elle n'est pas belle, dans le sens que les garçons de son âge donnent
à ce mot, occupés à fantasmer sur des actrices dénudées
ou des bimbos du lycée d'à côté.
Malgré le gros pull difforme et la fourrure sur ses épaules, il
peut voir qu'elle n'a pas une silhouette sculpturale. Même son visage
n'est pas très joli, peut être plus si elle n'était pas
si maigrichonne.
Mais elle est tellement
étrange.
Elle pourrait être une simple clocharde, sale et un peu folle, mais cette
peau d'animal sur ses genoux, bien trop grande pour être un renard, trop
rouge pour être un mouton ou une chèvre, ça n'est pas normal.
Et puis, elle n'a pas l'assortiment de sacs divers que les clochards portent
habituellement.
Juste un vieux sac de toile posé au sol.
Elle n'a pas de bouteille d'alcool à portée de main, même
s'il peut voir qu'elle tient quelque chose contre elle, sous les replis de fourrure,.
Et il y a son odeur, même si elle est sale - elle ne s'est pas lavée
depuis des jours probablement- son odeur a quelque chose d'étrange.
Car ça sent la sueur, la crasse, mais pas le mauvais alcool.
Ca sent la nourriture, la viande, le sang, mais pas le kebab gras bon marché.
Ca sent le fauve, la pluie, le chien mouillé.
Ho, ça c'est peut être normal, vu les chiens qui l'accompagnent.
Le noir, il l'avait vu, mais pas vraiment reconnu. Il croyait à une autre
fourrure, posée à côté d'elle, jusqu'à ce
qu'il relève la tête et le regarde et lui sourit comme s'il allait
le désosser dans cinq secondes. Il est énorme ce chien, et musclé,
on dirait un husky, mais si noir, si grand, que ça ne peux pas être
ça. Le second est plus petit, plus jeune peut être, et allongé
sous le banc, et il n'y a pas moyen que Yann s'asseye à côté
de la femme, parce qu'elle sent trop fort et que le chien lui boufferait les
chevilles s'il s'asseyait la.
Il y a un troisième chien, qui est jaune, ou doré -Yann ne savait
même pas que cette couleur existait chez les chiens-assis sous la pluie,
au milieu de graffitis à la craie et qui regarde le ciel.
La femme arrête de chanter, même si elle fredonne encore à
mi-voix en lui jetant un regard étonné. Elle se tourne ensuite
vers le chien jaune qui ne bouge pas, le museau pointant vers les nuages, puis
vers le chien noir qui souffle juste bruyamment avant de reposer son museau
sur la peau rouge, juste sur les cuisses de la femme.
Alors elle hausse les épaules et s'appui sur la paroi de verre de l'abri
bus et ne fait plus attention à lui.
Le temps s'écoule.
Il voudrait aller voir les horaires pour le prochain bus, mais ils sont accrochés
près d'elle et le chien marron, le plus petit des trois, lui jette des
regards mauvais, il n'ose pas approcher. Il essaye de voir de loin, mais il
a beau plisser les yeux, se pencher, il ne voit rien.
Et puis la chanson s'arrête à nouveau.
-Le prochain est dans vingt minutes, déclare la femme.
Il sursaute et se redresse, mais se souvient de ses bonnes manières et
la remercie.
-vous attendez depuis longtemps ?
-Je n'attends pas le bus.
Elle n'est pas soûle, et elle s'exprime bien, sans accents, ni problème
de dictions. Elle n'a pas une voix divinement belle, une voix d'ange ou de chanteuse,
mais sa voix lui donne des frissons dans le dos quand même.
-J'ai rendez-vous, continue t'elle, avec un drôle de sourire qui ressemble
a une moue.
-Ho
Le silence retombe. Ca pourrait être la fin de la conversation. Après
tout, parler aux clochards, ce n'est pas très conseillés, ils
pourraient s'accrocher, réclamer de l'argent
Mais il a encore envie d'entendre sa voix.
-Ils sont beaux vos chiens.
Elle interrompt de nouveau sa chansonnette et jette un regard au chien marron
qui grogne fort tout d'un coup et commence à ramper de sous le banc.
Elle pose son pied devant son museau, l'empêchant de sortir de son abri,
avant de répondre à Yann.
-Ce ne sont pas mes chiens. Je voyage avec eux, mais ils ne sont pas à
moi.
-Je peux les caresser ?
Elle secoue la tête doucement, et il ne peut s'empêcher de remarquer
que ses cheveux ont presque l'exacte nuance de la pelisse étalée
sur ses épaules. Ca brouille les limites et il ne sait pas ou s'arrêtent
ses cheveux et ou commence la fourrure.
-Evite. Ils n'aiment pas être touchés. Surtout Pluie.
-Pluie ?
-Le chiot.
Le chien marron lui décoche un coup de croc, qu'elle esquive de justesse,
lui rendant un coup de pied dans la mâchoire en échange. Yann sursaute,
parce qu'il n'a pas vu le chien bouger, et qu'il a crut un moment qu'elle allait
se faire arracher le pied. Mais l'animal, Pluie, ne recommence pas, se rencognant
sous le banc en grommelant.
-Il est mauvais ?
-Juste caractériel.
Juste caractériel. Si manquer de se faire amputer la jambe est pour elle
un simple accès de mauvaise humeur, il ne veut pas savoir ce que le chien
fait quand il est câlin. Yann fait un léger pas de côté,
au cas où l'animal essaierait de l'attaquer à nouveau, et se retrouve
sous la pluie.
-C'est marrant cette pluie, c'est tombé d'un coup
Grommelle-t-il
en revenant sous l'abri-bus, secouant la tête pour se débarrasser
de l'eau qui lui coule dans la nuque.
-C'est magique, rétorque-t-elle a mi-voix, même si Yann l'entend
très bien - il a toujours eut une très bonne ouie avec son bon
odorat.
Sous la pluie, le chien doré pousse un petit hurlement, pas très
fort, à peine plus qu'un aboiement appuyé, mais sa posture rappelle
à Yann ce poster qu'il a dans sa chambre, cette image de ce beau loup
gris qui hurle devant une lune immense.
Et il a envie de parler soudain, parce qu'il ne sait pas pourquoi, mais quelqu'un
qui voyage avec des loups
enfin des chiens, aussi beaux, ne peux pas être
mauvais.
-Quand j'étais petit
Mon grand père.. Enfin, mon arrière
grand père me racontait des légendes sur les loups.
Elle a un petit rire amusé, tout en caressant le crâne du chien
noir.
-Qu'ils mangeaient les enfants et les grand-mères ? demande-t-elle, un
sourire aux lèvres et dans la voix.
-Ha, ça non. Ca l'aurait arrangé que ma grand-mère se fasse
manger. Il a toujours dit que papy a épousé une rombière.
Et elle rit. En général, tout le monde s'offusque quand il dit
ça, trouve que son papet était affreux de dire ça, mais
elle, ça la fait rire.
-Papet était berger. Et il connaissait plein de légendes et de
contes très anciens. Et y'a une légende qu'il m'a raconté,
ça me fait penser à vous.
-Vraiment ? Rétorque-t-elle, d'un ton un peu moqueur, Comment ça
?
-La légende du meneur de loup.
Son petit sourire espiègle disparaît, au profit d'un air pensif
qui ne la quitte pas pendant qu'il raconte cette vieille histoire du Papet,
qui l'asseyait sur son genou quand il était à peine plus vieux
que sa petite soeur, pour partager une histoire et un morceau de pain et de
fromage.
-Les meneurs de loup
Ou les meneux de leu, ce sont des hommes qui vivent
avec des loups. Ils leur disent quelle bergeries attaquer, ou ne pas attaquer,
ils savent soigner les morsures de loup et donner ce pouvoir, ils savent faire
danser les loups au son d'un violon ou d'une cornemuse, et les loups leurs obéissent
et
Elle le regarde et l'écoute sérieusement, comme personne ne l'écoute
comme ça maintenant, sauf peut être Annick quand il lui raconte
les légendes que Papet lui a apprise avant sa mort.
Ca l'impressionne, il n'a pas l'habitude que les adultes l'écoute, surtout
pour des choses aussi futiles qu'un conte de bonne femme.
-Enfin.. voilà
C'est juste une légende
Achève-t-il
un peu piteusement, attendant le moment ou elle se moquera de lui.
-Je crois que cette légende n'est pas fausse, déclare-t-elle en
lissant les poils du chien noir. Mais elle n'est pas tout à fait vrai
non plus.
-C'est une légende, elle peut pas être vraie !
-Les légendes sont plus vraies que tu ne le penses, répond-t-elle
mystérieusement.
-Ca existe les meneurs de loups ?
Il a envie de croire ça. Papet lui affirmait que c'était vrai,
mais grand-mère et ses parents disaient que non. Papy, lui, il ne disait
rien, juste que les loups disparaissent et que c'est dommage, mais que si ils
étaient sage, il les emmènerait voir les loups dans le Gévaudan,
Papet et lui.
Et puis, Papet est mort il y a deux ans et Papy n'a plus jamais parlé
d'aller voir les loups.
-Peut être. Peut être qu'un jour, un berger a trouvé une
portée de louveteaux et plutôt que de les tuer, les as dressés
pour protéger sa vie et son troupeau des fauves à quatre et deux
pattes.
-Ho.
C'est un peu décevant d'entendre son conte être disséqué
aussi aisément. C'est un peu pour ça qu'il ne raconte ses histoires
qu'à Annick, leurs frères deviennent trop grands pour y croire
maintenant et il n'aime pas qu'on le contredise quand il parle de l'héritage
de Papet.
-Peut être qu'un enfant un jour, a été abandonné
et que des loups l'ont acceptés et recueilli et qu'une fois adulte, un
peu sauvage, presque incapable de parler et de vivre en société,
il écumait la campagne avec ses frères de lait.
-Comme Mowgli ?
-Mowgli est une invention, mais Kipling s'est inspiré d'histoires vraies.
Il y a eut beaucoup d'enfants sauvage en Inde et dans le monde.
Il se demande vraiment si elle est une clocharde. Elle parle tellement bien
et elle sait plus de chose qu'il ne le pensait. Plus de chose que lui en fait.
Elle commence à lui parler d'Amala et Kamala, les petites filles d'Inde
élevées par les loups et il écoute, autant captivé
par les faits qu'il l'a été par les fées de Papet.
-Peut être qu'un jour, un homme un peu sorcier ou un peu magicien ou juste
un peu fou, a décidé de devenir loup,et qu'il a vécu avec
une meute
Mais ces hommes là, ce ne sont pas de meneurs de loups.
-C'est quoi alors ?
-Ce sont les loups qui les mènent. C'est eux qui suivent les loups en
attendant d'en devenir un.
-Comme vous ?
Il ne sait pas pourquoi il a dis ça, mais ça lui semble logique.
-Comme moi.
Elle le regarde encore longuement, un petit sourire aux lèvres.
-Et comme toi.
Il se souviendra toujours de la cheminée dans la ferme de Papet, devant
le vieux fauteuil un peu bancal, sur lequel le Papet se balançait -tac
tac tac- quand l'histoire devenait trépidante, de l'odeur du pain posé
près du feu et qui croustillait, tout chaud, quand le Papet en coupait
une tranche et étalait du fromage de brebis et du gros sel dessus et
lui tendait la tartine en imitant la grosse voix des meneurs de loups.
Il se souviendra aussi de l'abri bus exigu, ouvert à tout les vents,
de la pluie qui tombe -ploc ploc ploc-, et des odeurs de la forêt humide
et des animaux, très fortes, mais moins désagréables de
seconde en seconde, de la femme en rouge, comme un grand 'petit chaperon' qui
n'a pas peur du loup et de sa voix, qui ressemble a celle du Papet et des meneurs
de loups, et du chien jaune qui a commencé à chanter.
C'est un chant bizarre, pas comme l'idée qu'il se fait d'une sérénade
à la lune, parce qu'il chante comme un loup, houuuhouuhou , mais ça
fait comme des mots, et des mots bizarre, parce qu'il ne les comprends pas,
mais il sait ce qu'ils signifient.
Il sait que le loup... Chien
Loup, appelle la pluie, qu'il dit aux nuages
de venir ici, juste là, et au vent de souffler si fort que personne ne
va sortir par ce temps.
Personne sauf une voiture qui arrive, les phares allumés et les essuie-glaces
essayant désespérément de dégager la vue. Elle roule
lentement, parce que la visibilité est nulle et la route glisse avec
l'eau et la boue. Pluie, le chien marron, le plus jeune, a tout le temps de
sortir de sa cachette et de rejoindre le chien jaune, le nez au vent. Ils regardent
la voiture approcher, eux deux, mais aussi le noir, qui s'est levé et
qui est vraiment énorme, et la femme, qui s'est redressée, la
main serrée sur l'objet caché par la peau.
La voiture arrive à proximité, sans ralentir et malgré
le rideau de pluie, Yann peut reconnaître la marque, la plaque militaire
et discerner la silhouette du conducteur et d'un passager, à l'arrière.
Le loup brun bondit devant la voiture qui freine violemment, faisant un tête
à queue que l'animal esquive aisément, d'un bond inhumain, ou
in-lupin. Dans un grand fracas, la berline noire percute les arbres de côté,
secouant ses passagers. Yann se redresse par réflexe, prêt à
leur venir en aide.
La femme le repousse vers l'abri bus d'un geste, sortant l'objet caché
sous la peau.
Et Yann ne sait plus que penser quand il voit la gentille conteuse, le chaperon
rouge, la meneuse de loups, brandir un impressionnant pistolet d'un geste habitué
et se diriger, le loup noir sur les talons, vers l'accident.
Il ne peut que regarder, horrifié, quand le conducteur, incapable d'ouvrir
la porte faussée par le choc, arrive à baisser sa vitre. Il ne
peut que regarder quand le loup noir, si grand, si sombre, avec une langue si
rouge et des crocs si grand -pour mieux te manger mon enfant- saute d'un bond
précis par l'ouverture. Mais il voudrait détourner le regard quand
la voiture oscille, que des cris retentissent et que l'odeur du sang, métallique
et salée, emplie l'air.
Il voudrait crier et prévenir le passager quand celui-ci sort précipitamment,
fuyant le carnage et se retrouve face à la femme et au pistolet dont
la gueule n'est pas moins impressionnante que celle du loup.
Mais il ne peut pas bouger, ni parler, il a la langue lourde et le cur
qui bat trop vite, trop fort et l'homme s'arrête en face de la femme.
C'est un militaire, un haut gradé peut être, vu qu'il se faisait
conduire, et même si la femme est terrifiante, vêtue d'une peau
d'animal -Yann reconnaît une peau de loup maintenant, ça ne l'étonnes
même pas- il s'efforce de ne pas montrer sa peur et lui fait face courageusement.
-Général Lorrein ?
-Oui, mais qui êtes
-La lune ait votre âme et les vers vos tripes.
Et elle tira.
Trois fois.
Le petit plouf que fait le général en tombant dans la boue est
presque anti-climatique.
Le loup noir sort la tête par la vitre du conducteur, le museau humide
et la langue plus rouge qu'avant. Il tourne la tête vers Yann, et pendant
un moment, Yann ne voit que ses yeux bleus très clairs, et il ne s'aperçoit
pas tout de suite que ce n'est plus un loup noir qui le regarde, mais un homme,
tellement grand qu'il doit se plier en quatre pour sortir par la fenêtre
de la voiture, un homme vêtu de jean sombre, barbouillé de sang
qu'il lèche négligemment de ses lèvres.
Yann recule quand l'homme se redresse, tellement grand, plus que la femme encore,
mais ce faisant, il butte contre quelqu'un et des mains dures enserrent ses
bras, le retenant sur place.
Du coin de l'il, il voit une tignasse blonde et un tatouage qui court
le long d'un bras à la peau mate. Il entend une respiration forte et
sent quelque chose dans son cou, et il ne sait pas si c'est un nez ou une truffe,
et si c'est une main ou une patte qui lui caresse les cheveux mais peu après,
c'est un homme qui passe près de lui.
-Rentre chez toi petit, ordonne-t-il d'une voix rauque mais pourtant très
douce, très gentille.
-On devrait le tuer, grogne le brun en s'essuyant le menton encore dégoulinant
d'hémoglobine.
-Non, il est de notre sang. Il en a peu, mais il en a.
-Laisse-le Sourire. C'est qu'un gosse. Même s'il témoigne, les
militaires ne pourront rien tirer sur nous.
-Vous êtes des loup-garous.
Le loup - l'homme- sourit, le genre de sourire que le petit chaperon rouge a
dû voir avant de se faire dévorer.
-Il est aussi rapide que Fugitive au début.
La remarque lui vaut une tape sur l'arrière du crâne de la part
de la femme. Il ne se vexe pas, il ricane juste, puis fait un signe de tête
et commence à s'éloigner. Le loup brun le suit joyeusement, bondissant
comme un jeune chiot, puis la femme, après un dernier gentil sourire,
si gentil que Yann a du mal à croire qu'elle vient de tuer un homme de
sang froid.
Et puis le loup blond, l'homme aux cheveux bouclés s'arrête près
de lui. Il est plus petit que le brun, à peu près la taille de
la femme, peut être moins. Mais il semble si imposant, tellement plus
grand qu'il ne l'est en réalité, que Yann a du mal à ne
pas se ratatiner sur lui-même quand il le regarde.
-C'est pas un rêve, hein ?
-Non.
Ils viennent de tuer deux hommes. Sans hésiter, sans difficultés,
juste comme ça.
Mais Yann veut aller avec eux, il veut les suivre, écouter la femme raconter
ce qu'elle sait, chasser avec le loup brun, Pluie, ce serais peut être
un ami, devenir un loup lui aussi et savoir, juste savoir d'où ils viennent
et ou ils iront et
-Tu as déjà une meute.
Yann sursaute quand le blond prend la parole.
-Rentre chez toi. Tu as une meute à servir et protéger.
-J'ai pas de
-Ton grand père refuse le statut d'alpha. Et bientôt, tu seras
assez grand pour défier l'autorité de ta mère.
-Je suis pas un loup !
-Pas entièrement.
Le côté rationnel, 'normal' de Yann veut partir en hurlant, les
mains sur les oreilles. Mais son petit grain de folie, la petite voix qui lui
répète les contes de Papet, lui souffle que le loup blond a raison
et qu'il l'a toujours su. L'homme passe une main sur son front, appuis doucement,
entre ses deux yeux, puis sourit et choisi soigneusement une des breloques pendues
à son cou. Il la passe autour de la gorge de Yann, solennellement presque,
puis cache le pendentif, une espèce d'os court, taché d'ocre,
sous son pull.
-Ne le montre à personne. Et quand les militaires viendront t'interroger,
ne parle pas de ton aïeul, ou ta meute sera en danger.
-D'accord
Il a droit à une dernière caresse sur le front, et puis ce n'est
plus un homme, c'est un loup à nouveau, qui part en trottinant à
la suite de sa meute.
-
La pluie s'arrête.
Yann a l'impression de se réveiller d'un drôle de rêve, un
peu morbide, un peu dingue, mais terriblement beau, comme les contes de Papet.
Il a du s'asseoir à un moment, parce qu'il est de retour sous l'abri
bus, adossé au verre froid.
Il n'y a plus de chiens -de loups- ou de clocharde -de conteuse- dans les environs.
Juste quelques empreintes dans la boue.
Mais il y a toujours les deux cadavres, un sur la terre molle, l'autre dans
la voiture.
Et il sent l'os sous son pull, à travers l'épaisseur de son tee-shirt.
Quand le bus passera, l'alerte sera donnée. Il vaudrait mieux ne pas
s'attarder.
Yann se lève, enfile son kway, reprend sa sacoche et contourne l'abri
bus pour s'enfoncer dans la forêt.
Les militaires ne doivent pas le trouver ici.
Il a une meute à protéger.
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