Fut un temps ou tout les hommes sur terre venaient du singe. Fut un temps ou
tout les loups sur terre n'était que des animaux. Même le feu était
encore sauvage en ces temps là, et les temps dont je vous parle, seule
la lune s'en souviens encore, car nul être n'a vécu suffisamment
pour me le raconter. Ce que je sais, c'est mon père qui me l'a raconté,
qui le tenait de son père qui lui même l'appris de père
en père depuis cette époque. En ces temps là, l'homme n'avait
ni lame ni fusil. Pour chasser, il lançait des pierres et des bâtons
pointus. Et les loups n'hésitaient pas à croquer ces singes nus,
trop tôt descendus de leurs arbres.
Et il fut une fois un homme, qui perdit ainsi sa tribu, décimée
par les loups. C'était un shaman, qui connaissait le langage de la nature
et comment lui ordonner, mais quand son clan fut décimé, il ne
put le venger qu'en tuant un seul loup, blanc comme la lune en hiver. C'était
un tribut fort piteux jugea t'il, et quand bien même il aurait une nouvelle
horde, un jour ou l'autre, les loups viendraient les prendre. Il confia ses
craintes au cadavre du loup, empalé sur des lances, comme un toit au
dessus de sa tête, et le loup lui répondit.
" Que crois tu singe ? Vous n'êtes que de la viande pour les miens.
Vous n'avez ni croc, ni griffes, pas même de fourrure pour vous protéger.
Vos yeux ne voient que le jour, vos nez ne sentent que votre propre puanteur
et même toi, avec ta science et tes pouvoirs, tu ne peux que tuer un vieux
loup qui serait mort à l'hiver. ".
Entendant ça, le shaman fut vexé. Il cracha au sol pour conjurer
le mauvais sort, car ça porte malheur de parler aux morts, plus encore
quand ils vous répondent, puis secoua une des lances sur lesquelles était
piqué le corps.
" Vieux loup, tu m'agaces ! Ne sous-estime pas les hommes car un jour ils
seront rois sur terre ! ".
" Pauvre soit la terre le jour ou les singes la domineront " répliqua
le loup.
" Nous serons les maîtres de la vie ! " Cria le shaman, s'emportant,
car, il était encore jeune et fougueux et la voix de la raison n'atteignait
pas toujours ses oreilles.
" Oh, peut être ", admit le loup, " peut être que
toi, avec tes colliers d'os et de plumes, avec ton savoir, tes dons, tes plantes,
toi tu serais maître de la vie. Toi et tout ces hommes qui parlent notre
langue, qui comprenez la lune et le vent. Oui, vous, vous pourriez. Mais tes
frères les singes, ils perdent leurs connaissances, leurs savoirs. Ils
ont déjà dompté le feu, qui sera le prochain ? Ils captureront
nos enfants pour qu'ils chassent pour eux ? ".
A ces mots, le shaman se tus. Il avait déjà vu ses frères
transporter le feu comme un nouveau dieu, oubliant le culte à la lune
et à la nature. Il avait vu certains oublier de remercier leur gibier
pour son sacrifice qui leur permettrait de vivre.
" Toi et les hommes comme toi, nous vous respectons. Vous respectez encore
les lois de la nature. C'est pour cela que ma meute ne t'a pas tué. Mais
viendras un temps ou les singes ne t'écouteront même plus. A quoi
sert un shaman quand le feu te protège plus sûrement des bêtes
sauvages ? ".
Encore une fois, le shaman ne renchérit pas. Le loup avait raison. Les
siens perdraient foi en la lune, en ses pouvoirs, peut être même
diraient t'ils un jour qu'il ne sert plus à rien.
" Et que proposes tu Vieux Loup ? " finit il par demander.
" Un marché singe. ".
" Que veux tu ? Et en échange de quoi ? "
" Les miens croient que nous ne mourrons pas, tant que quelqu'un hurle
son nom quelque part. Je veux que toi et ta descendance hurliez mon nom chaque
fois que la lune brillera. En échange, je te donne ma fourrure, mes crocs,
mes griffes, mes yeux et ma queue. Tu seras à la fois homme et loup,
singe quand tu le voudras, loup quand tu le pourras. Et les enfants que tu engendreras
seront autant loup que singe, tout comme toi. Qu'en penses tu ? "
Le shaman réfléchit longuement à cette proposition.
" Je ne serais plus un homme Vieux Loup. Les miens auront peur de moi.
"
" Et après ? Tu seras plus qu'un homme, à part une ou deux
compagnes, tu ne leur devras rien. "
" Alors j'accepte " déclara le shaman, " Que dois-je faire
? "
" Descend moi de là " répondit le loup " puis retire
moi ma peau et porte la comme si elle était la tienne. Dans neuf mois,
tu renaîtras comme loup ".
Le shaman obéit et descendit le loup, le posant au sol. " et ton
nom Vieux Loup ? Le nom que je devrais chanter chaque nuit ou la lune est visible
? Quel est ton nom ? ".
" Je suis celui qui coure dans la neige, sous la lune d'hiver. Je suis
le nuage d'été. Je suis l'écume du ruisseau et le lait
de la mère. ".
Et le shaman sut quel était le nom du loup et le garda au fond de son
cur. Il ne le révéla jamais, car le nom d'un être
est sacré et, quand la lune se leva ce soir là, il inventa mille
mots pour chanter le loup. Quand, de longues saisons plus tard, il fut trop
vieux pour continuer à vivre, il fit venir son fils, shaman comme lui,
et, au creux de l'oreille, lui révéla le nom du loup et le serment
qui les liait. Puis il rejoignit le loup blanc parmi les étoiles ou ils
chassent ensemble éternellement, se moquant des singes, des loups et
de leurs enfants.
[L'attrape rêve ] [Elle a vu les loups]